Gabon : Entre crimes économiques et intimidations politiques
Depuis plusieurs mois on observe que de nombreuses personnalités gabonaises sont accusées de crimes économiques dès qu’elles affichent leur opposition aux autorités de leur pays. Ces accusations interviennent souvent quand elles quittent les rangs du parti au pouvoir. Ainsi constate-t-on que Serge Maurice Mabiala, Jean Ping, Chantal Myboto, Léon Paul Ngoulakia ou Guy Nzouba Ndama ont fait l’objet d’accusations de détournement de fonds publics et/ou de redressements fiscaux. L’égalité de tous devant la loi commande pourtant que la justice gabonaise se saisisse de tous les crimes économiques y compris ceux qui accablent des personnalités du pouvoir, c’est le cas notamment du dossier Delta Synergie qui semble mêler enrichissement illicite, abus de biens sociaux et prises illégales d’intérêt.
Des accusations de crimes économiques pour museler les opposants ?
Rentré en fronde contre le régime au sein d’Héritage et Modernité (H&M), courant du parti démocratique gabonais, Serge-Maurice Mabiala fut arrêté le 17 septembre 2015. Incarcéré pendant 5 mois, l’ancien ministre fut accusé d’avoir détourné près de 2 milliards FCFA quand il assurait les fonctions de Directeur au service des impôts des grandes entreprises près de 10 ans auparavant. Finalement libéré le 17 février 2016, Serge Maurice Mabiala n’a jamais été jugé, permettant ainsi à ses collègues de H&M d’affirmer que la seule motivation de son arrestation était de désamorcer la fronde et les contestations qui s’organisaient au sein du parti au pouvoir.
En novembre 2015 l’opposant Jean Ping affirmait que les avoirs détenus sur ses comptes ouverts au Gabon avaient été gelés. Il s’étonnait par ailleurs de faire l’objet d’un redressement fiscal de 500 millions FCFA alors que disait-il, il n’exerce aucune activité commerciale au Gabon.
Le 19 mars 2016, au cours d’une manifestation politique l’opposante Chantal Myboto a remis en cause la filiation du Président Ali Bongo. Deux jours plus tard, le 21 mars, la Résidence hôtelière Le Maïsha dont elle est propriétaire était mise sous scellés et l’administration fiscale lui réclamait le paiement sans délai de 4 milliards FCFA dans le cadre d’un redressement fiscal pour le moins expéditif. S’il faut souligner que le Directeur général des impôts a déclaré que le redressement fiscal signifié à Chantal Myboto était un acte administratif sans lien avec ses activités politiques, la succession des événements tend à démontrer le contraire. En tous les cas, de nombreuses voix se sont élevés pour dénoncer une tentative d’intimidation contre une personnalité qui ne partage pas les mêmes opinions que le chef de l’exécutif.
Plus récemment, Léon Paul Ngoulakia, en rupture de bans avec le pouvoir a fait l’objet d’accusations graves de la part du PCA de la Caistab, Guy Christian Mavioga, par ailleurs porte-parole des partis de la majorité. L’ancien Directeur général de la Caistab, a été publiquement accusé d’avoir détourné plus de 200 milliards FCFA pendant les 3 ans et 7 mois qu’il passa à la tête de cet établissement sans qu’une quelconque preuve ne soit présentée par l’accusateur.
Etonnement, les accusations de Guy Christian Mavioga n’ont pas dépassé le stade de la simple déclaration publique. Certains les assimilent à de la médisance à des fins politiques. En effet, comment comprendre qu’à la suite d’un détournement présumé de 200 milliards FCFA (un montant équivalent à près de 8% du budget général de l’Etat), le PCA de la Caistab s’abstienne d’effectuer tout dépôt de plainte devant les tribunaux pour que la personne qu’il accuse réponde des accusations formulées à son égard ? Par ailleurs, le timing de ces accusations interpelle puisqu’elles interviennent 5 jours à peine après une interview accordée par Léon Paul Ngoulakia à un journal local dans laquelle il s’est montré particulièrement virulent envers le pouvoir en place et sa gestion.
Silence sur Delta Synergie
Nouveau démissionnaire du parti au pouvoir, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama n’a pas échappé à son lot d’accusations de crimes économiques. En effet, ce 19 mars, dans une interview accordée à RFI par le porte-parole du gouvernement gabonais, Alain-Claude Bilié-by-Nzé l’a accusé d’avoir « vidé les caisses de l’Assemblée ». Comme souvent aucune preuve n’a été présentée et aucune plainte n’a été déposée à l’encontre de Guy Nzouba Ndama. Ce dernier étant parlementaire puis président de l’Assemblée nationale depuis 2 décennies, pourquoi est-ce seulement maintenant qu’il a rejoint l’opposition que le gouvernement dénonce des prétendus détournements de fonds publics ? Rappelons qu’il y a quelques mois, une analyse publiées sur ce site alertait sur le fait qu’entre 2004 et 2015 plus de 52.5 milliards FCFA furent inscrits au budget de l’Etat pour la construction de bâtiments annexes à l’Assemblée nationale qui n’ont jamais vu le jour. Cette analyse abondamment reprise par la presse locale n’avait à l’époque suscité aucune réaction des autorités gabonaises, alors même que le taux moyen d’exécution des dépenses budgétaires sur la seule période 2005-2011 (98%) laisse à penser que tout ou partie de ces fonds a bien été décaissé.
Au regard de ce qui précède, les autorités en place et leurs alliés devraient s’abstenir d’utiliser les administrations publiques ou parapubliques pour fragiliser leurs adversaires politiques. La forme républicaine de l’Etat et le principe d’égalité des citoyens devant la loi commandent au contraire que tous les crimes économiques fassent l’objet d’un même traitement judiciaire lequel doit être totalement dépolitisé. A ce titre, une frange de l’opinion gabonaise continue de s’émouvoir qu’aucune juridiction nationale ne se soit autosaisie pour connaitre de l’affaire Delta Synergie ou de la Succession du Président Omar Bongo. Dans ces affaires de nombreux médias ont pointé des actes d’enrichissement illicites et de prises illégales d’intérêts. De nombreux documents publiés par la presse occidentale notamment tendent à démontrer des conflits d’intérêts.
Delta Synergie, nébuleuse de 50 sociétés touchant à tous les secteurs de la vie économique du Gabon a été valorisée à 27.8 milliards dans le cadre de la succession du Président Omar Bongo. Plusieurs personnalités du régime comme de l’opposition y sont directement ou indirectement actionnaires parmi lesquelles le Chef de l’Etat. Ainsi observe-t-on que le Président de la République se met en situation de conflit d’intérêts et de délit d’initiés lorsque l’Etat, qu’il préside, accorde régulièrement des marchés à des sociétés dont il est l’un de principaux bénéficiaires via Delta Synergie ?
Quelques exemples :
– En 2010 pour le très lucratif chantier de la route Pont Octra-Port d’Owendo, s’élevant à 20.06 milliards FCFA, l’entreprise SOCOBA détenue à 50% par Delta Synergie fut retenue par l’Etat. C’est encore SOCOBA à qui fut attribué le chantier d’extension du stade de Franceville. La même SOCOBA s’est vue attribuée le chantier de construction de 3 échangeurs à Libreville pour plusieurs milliards de francs.
– En 2013 lorsque l’Etat gabonais a sollicité un financement bancaire de 100 milliards FCFA pour la construction de logement sociaux, c’est BGFI Bank détenue à 6.4% par Delta Synergie qui a été retenue ;
– Alors que l’Etat s’est engagé dans un projet d’exploitation d’un gisement polymétallique à Moubounié, la société Maboumine, créer pour conduire le pojet, s’est empressée d’ouvrir son capital à hauteur de 5% à Delta Synergie dont le Président Ali Bongo est le principal bénéficiaire. Par ailleurs, Delta Synergie détient 0.03% dans Comilog, principale société minière du pays.
Sur le cas spécifique de la succession du Président Omar Bongo, plusieurs personnalités ont réclamé que soit dressé un inventaire pour identifier dans cet immense patrimoine les biens qui furent acquis avec les revenus officiels et connus du défunt et ceux qui devraient revenir dans le domaine publics car acquis avec des deniers publics. Elles ne furent pas entendues alors même que leur proposition ne manque pas de sens.
Mays Mouissi
Source principale :
– Rapport de mission de l’audit des participations Delta Synergie
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On pensait avoir touché le fond avec le père, le fils nous prouve qu’on peut aller encore plus bas. difficile d’être optimiste pour notre cher Gabon.