Gabon : L’ANGT et le scandale des marchés publics par entente directe
Le 10 septembre 2012 dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le Président Ali Bongo affirmait que les marchés de gré à gré avaient disparu au Gabon. Cependant, un courrier daté du 23 aout 2012 et signé du Premier ministre de l’époque Raymond Ndong Sima tend à démontrer le contraire. Dans cette lettre adressée au Directeur général de l’ANGT, le Premier ministre s’alarmait du recours quasi-systématique de cette agence aux marchés de gré à gré alors que la loi dispose que les ententes directes doivent demeurer exceptionnelles. De fait, au moment même où le Président de la République revendiquait la disparition des marchés de gré au Gabon, l’ANGT dont il était le Président du conseil d’administration passait plus de la moitié de ses marchés par ce canal.
Pourquoi les marchés de gré à gré n’ont pas disparu ?
Passer des marchés par entente directe revient à conclure un marché avec un tiers sans appel d’offres. Il s’agit donc de marchés passés de gré à gré.
En affirmant que les marchés de gré à gré avaient disparu, le Président Ali Bongo s’est manifestement trompé. En effet la passation des marchés publics par entente directe est prévue par les textes réglementaires et encadrée par les articles 17,29,43,44,54,120 et 128 du Décret n° 1140/PR/MEFBP du 18 décembre 2002 portant code des marchés publics toujours en vigueur.
Pour rendre impossible ce type de passation de marchés et entrainer leur disparition, il eut fallu abroger les dispositions du décret précité, ce qui n’aurait d’ailleurs pas été souhaitable. En effet, si la réglementation préfère clairement la passation des marchés publics sur appel d’offres ouvert ou restreint (article 17 alinéa 1), elle n’autorise la passation des marchés publics par entente directe qu’à titre exceptionnel et avec un accord préalable de la Direction générale des marchés publics (article 17 alinéa 2).
Particulièrement restrictif sur l’usage de la passation des marchés publics par entente directe, l’article 43 du Décret n° 1140/PR/MEFBP n’a identifié que 3 cas où la passation des marchés publics par entente directe est possible car rendue obligatoire par les conditions de marché ou une extrême urgence :
– pour les travaux, fournitures ou services qui, après adjudication ou appel d’offres, n’ont fait l’objet d’aucune soumission ou offre ou pour lesquels il n’a été proposé que des soumissions ou des offres inacceptables ;
– dans les cas d’extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur ou du fournisseur défaillant ou en cas d’urgence impérieuse ne permettant pas de faire appel à la concurrence ;
– lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur ou un seul fournisseur.
Les plus gros marchés passés par entente directe à l’ANGT
Si l’on se base sur les informations disponibles dans le courrier de l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, lesquelles sont marquées du cachet du Ministère gabonais de l’économie, 55% des marchés passés par l’ANGT en 2012 représentant 85% des sommes engagées l’ont été par entente directe. Le nombre de marchés passés par appels d’offres n’a représenté que 34% des marchés lesquels représentaient seulement 13% des sommes engagées. En comparaison, dans les autres administrations 65% des sommes engagées le furent à l’issue de procédures d’appels d’offres.
De façon plus détaillée, sur 118 marchés passés par l’ANGT en 2012, 65 furent attribués par entente directe. Ils représentaient une somme de 95 milliards FCFA. A l’inverse 40 marchés furent attribués via la procédure d’appels d’offres pour environ 14 milliards FCFA.
Ainsi observe-t-on qu’à l’ANGT la passation des marchés publics par entente directe qui devait demeurer une exception est devenue la règle et les procédures d’appels d’offres censées être la règle sont devenues l’exception.
Outre l’ANGT, le département en charge de la promotion des investissements s’est lui aussi illustré par le recours massif à la passation des marchés de gré à gré. En effet, si la proportion de marchés passés par entente directe par ce département n’a été que de 39% (soit 37 dossiers), les sommes engagées ont représenté 79% (soit 570 milliards FCFA).
De façon générale en 2012, sur 713 marchés publics identifiés dans le courrier de l’ancien Premier ministre Ndong Sima, 328 ont été attribués par entente directe toutes administrations confondues (soit 46%). Plus impressionnant encore, sur 1634 milliards FCFA de marchés publics identifiés en 2012, 905 milliards FCFA ont été attribués sans appel d’offres (soit 55%).
Au regard de ce qui précède, qu’est ce qui peut expliquer que la majorité des marchés publics gabonais soient attribués selon une procédure censée être exceptionnelle ? Comment le Président Ali Bongo a-t-il pu affirmer à la presse internationale que la passation de marchés publics de gré à gré avait disparu au Gabon ?
Mays Mouissi
Sources principales :
– Courrier du Premier ministre Ndong Sima n°00958 /PCPM/DJ/GMB du 3 aout 2012 et annexes
– Interview du Président Ali Bongo à l’hebdomadaire Jeune Afrique du 10 septembre 2012
– Décret n° 1140/PR/MEFBP du 18 décembre 2002 portant code des marchés publics
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Très bon article montrant les mensonges du système gabonais qui ne cessent de se perpétuer. Cependant, le seul bémol est qu’il manque juste des explications pouvant permettre aux lecteurs de comprendre les effets négatifs des marchés de gré à gré, et de mettre en exergue la nécessité des appels d’offres dans la procédure de passation des marchés publics; notamment par ses principes garantissant la transparence et l’égale mise en concurrence des candidats. Mais sinon, très bon article.
Bonjour Yann et merci pour votre commentaire.
Nous prenons bonne note de vos remarques qui nous paraissent tout à fait pertinente.
Bien cordialement,
MM
Pots-de-vins, dessous de table, compromissions, corruption de toutes sortes, enrichissements illicites…tels sont le corollaires des marchés de gré à gré! Il suffit de voir le train de vie des personnalités et cadres plus ou moins liés à ces secteurs….
Vivement l’instauration du « délit d’apparence » (je crois que c’est comme ça qu’ils appellent cela au Burkina Faso)!!
Que de scandales sous ce septennat finissant !